*Suivant mon plan original, Colis suspect devait rassembler vingt-deux textes regroupés en quatre parties portant chacune son titre. La première partie, envisagée comme une sorte de suite en cinq mouvements (la suite «Jackhill»), est restée inachevée, et les deux mouvements déjà écrits, pris tout seuls, sont sans intérêt. Comme le temps a beaucoup passé et que je ne prévois pas terminer cette histoire, la partie au complet rejoint le purgatoire des fonds de tiroir, avec un sixième texte non écrit qui s’y rattachait et devait clore la deuxième partie.

22 - 6 = 16. Des seize textes restants, l’un est «Demain, hier ou ailleurs», déjà publié dans Le Livre noir de Ta Mère; courez l’acheter! J’enlève enfin une nouvelle incomplète («Histoire dont elle est la câline»), dont j’ai intégré la part déjà écrite aux détesteurs, ainsi que la nouvelle-titre («Colis suspect»), jamais commencée ‒ c’est des choses qui arrivent oui c’est ça j’avais un plan détaillé avec des titres pour des textes pas encore commencés.

16 - 3 = 13. Voici les treize textes rescapés, ou pièces à conviction, sans façon, dans l’ordre de leur composition.

C’est bizarre, hein, ça part, ça vient… Je touche la torche du feu ou je passe proche un temps et, l’année suivante, je griffonne comme un zoulou : le style de « Entre ciel et terre » est affreux, on verra. C’est parce que je cherchais encore. Je cherche encore, mais moins.

Notes :

PC1 ‒ Quatrième partie d’une longue nouvelle dont les trois autres valent mieux mortes. PC2 ‒ Projet resté pur projet. PC3,4 ‒ Écrits pour le cours de création « Critique littéraire » donné par Catherine Mavrikakis à l’UdM. PC5,6,7 ‒ Publiés aussitôt écrits à l’origine sur MySpace (/dangerrranger) quand j’ignorais encore la possibilité du blogue. PC8,9,10,11,12 ‒ Publiés aussitôt écrits sur mon blogue [plusieursexcuses.blogspot.com]. PC13 ‒ Morceau de choix beaucoup trop excellent pour la revue de « littérature pop » Biscuit chinois qui l’a refusé; thème : « viande ».

mercredi 5 janvier 2011

PC1+2 (printemps-été 2004)


Ardeur au travail


« Oh! Wow! Avez-vous vu la bitch? Oouuh! Elle est… trop bête. Eh? »


J’ai d’abord tiqué un brin, pas que ça m’ait particulièrement choqué, ni trop que le lieu et ma fonction ne me soient pas supposés le laisser s’exprimer de cette façon, c’est plutôt que ma curiosité a pris le pas : « Trop bête? Qu’est-ce que ça veut dire?


« Oh! Ça! C’est une expression qu’on dit, mes amis et moi! Ça veut dire que c’est chill, que c’est cool… que c’est… trop bien, bref… »


O.K. Je n’ai rien à ajouter. J’entends bien que je deviens un peu vieux. Je n’en ai d’ailleurs pas eu le temps.


« Et, oh! Eh Chose! Vous savez ce qu’il a dit le prof aujourd’hui ? Que les humains, avant, c’étaient des singes! Vous croyez ça, vous?


— C’était dans votre cours d’histoire?


— Ouais.


— Hum! En fait, c’est la théorie scientifique la plus communément admise », que j’ai répondu, et je me suis levé pour faire un schéma au tableau. J’ai tracé une ligne verticale que j’ai échelonnée tout en expliquant.


« Regarde. La formation de la Terre remonte à 4,6 milliards d’années, l’apparition de la vie sur Terre à environ 4,5 millions d’années, et l’apparition du premier ancêtre de l’humanité, à environ 3,5 millions d’années, si ma mémoire est bonne. Ce premier ancêtre était l’australopithèque. Il a été suivi de l’homme de Neandertal, de l’homo habilis, de l’homo erectus et de l’homo sapiens, dont une espèce, ou sous-espèce, plus récente, l’homo sapiens sapiens, a évolué jusqu’à devenir l’humain tel que nous le connaissons aujourd’hui. Quelque chose comme ça, en tout cas. Le fait est que selon le système de classement scientifiquement admis, dont la nomenclature est appelée taxonomie, l’homme et le singe appartiennent tous deux à l’ordre des hominidés, et le singe appartient au sous-ordre des simiens. »


En disant cela, je traçais un schéma d’arbre généalogique reliant les espèces.


« C’est prouvé par les anthropologues et les experts de la préhistoire – les paléontologues – qu’en remontant le temps, le singe et l’homme, à une certaine époque, possèdent un ancêtre commun.


— Je ne crois pas ça. Je ne sais pas, je crois que c’est impossible.


— Écoute. Lorsque l’ancêtre commun de l’homme et du singe existait, je ne me rappelle plus exactement lequel c’était, toute la société de cet ancêtre, à cause des conditions climatiques, des conditions de la chasse, des conditions géographiques, et cetera, s’est éventuellement séparée en différentes sociétés qui ont chacune évolué différemment, jusqu’à subir, au cours de centaines de milliers d’années, des mutations génétiques différentes. Ça n’arrive pas du jour au lendemain, tout ça… »


Rien à faire, Ali ne saisit pas l’idée.


« Je ne sais pas, je ne peux pas croire ça, je veux dire… Des singes, O.K., là, on prend une famille de singes, et là le père et la mère ont fait du sexe et comme ça c’est un humain qui est né comme ça? C’est impossible. »

Essayez donc d’expliquer. Les jeunes apprennent mal et trop vite ce qu’ils ne peuvent pas comprendre.


Ali, admirablement, est aussi candide qu’il s’agisse d’histoire naturelle ou de relations avec les filles. Il est d’ailleurs comique à voir aller, en général, avec son accent de Franco-libanais et son apprentissage encore nouveau des codes et mœurs de la jeunesse québécoise du nord de Montréal, composée de beaucoup d’immigrants. Et surtout avec ses hormones qui, à son âge, l’enjoignent de plus en plus à considérer les choses de la vie sous un regard nouveau.


« Oah! C’était qui la belle bitch d’hier, dis-moi? Elle, elle était avec toi, hein? Dis-moi! Qu’est-ce qu’elle est bête!


— Oui, elle est avec moi. Je l’aide pour son cours d’histoire du Québec et du Canada de quatrième secondaire. »


Vous auriez dû voir sa tête quand il a vu Anita entrer et se diriger vers moi avec le sourire, dans le hall d’entrée du centre de tutorat. D’abord fasciné comme un animal qui découvre un nouvel objet de jeu, Ali a rapidement compris ce qui se passait et m’a jeté un regard dont j’ai bien pensé que les organes allaient imploser.


« Eh, oh! Chose! Vous savez ce que je vais faire? Je vais lui écrire une lettre. À la fille, là. Je veux lui demander si elle veut me donner un kiss, là, mais pas un kiss, comme, sur la bouche, là, non, mais sur la joue, man. Oh! ça serait… juste… trop bête… Eh? »


Ali est originaire de l’Arabie saoudite, où il est né. « Là bas, c’est comme une prison, t’sais, t’as le droit de rien faire, comme, il n’y a pas de bars ni rien, et tu ne peux pas jouer à plein de jeux, là, et les femmes sont obligées de rester à la maison, là, elles n’ont pas le droit de conduire, plein de choses… ».


Mouais, Ali, mais tu n’es pas musulman, toi, par hasard?


« Jamais de la vie! Je suis chrétien, moi! Toute ma famille est chrétienne. » Lorsque je l’ai questionné plus en détail, il n’a pas su me dire avec certitude s’il était catholique, protestant, baptiste, orthodoxe ou autre. Passons. Toute sa famille, donc, a émigré au Liban, où elle vit toujours. Lui, il est venu à Montréal il y a moins de deux ans, c’est confus dans sa tête, et son père se rend fréquemment au Liban pour son travail. D’après ce que j’ai pu comprendre, son père est programmeur-analyste.


Ali va avoir seize ans cet été et il n’est qu’en deuxième secondaire. Il vient au centre de tutorat parce qu’il risque de se retrouver encore en deuxième secondaire l’an prochain, et éventuellement d’être exclu du système d’éducation du Québec. D’après ce que j’ai constaté, ses parents ne lui ont jamais été d’aucune utilité dans son apprentissage. Certains concepts évidents lui échappent totalement. Par exemple, il ne sait pas que la lune n’est pas le soleil, il pense que c’est le même objet. Simple, son père semble être tout à fait étranger à son l’éducation, il n’est bon qu’à débourser des fonds en cours privés, et sa mère n’a que Dieu en bouche. Une fois que je descendais de l’autobus au coin le plus proche, elle m’a embarqué et a inclus le mot « Dieu » dans chacune des foutues phrases qu’elle a proférées. « Dieu vous bénisse… », « Grâce à Dieu… », « Mon Dieu… », etc. On dirait que plus les gens sont croyants, plus ils blasphèment.


Un soir, Ali s’interrogeait sur son avenir professionnel. Pendant une demi-heure, j’ai servi d’orienteur en lui martelant le cheminement à suivre pour aller là où il veut aller, soit dans le génie mécanique. « Au pire, tu entres au cégep dans le programme technique approprié. Trois ans. Au mieux, tu obtiens en deux ans un diplôme d’études collégiales en sciences pures et tu t’arranges pour être accepté à l’École polytechnique de l’Université de Montréal, à moins que tu ne choisisses une autre université qui offre la formation appropriée, peut-être Sherbrooke, Laval ou McGill, il faut voir. » Je n’ai pas jugé bon de trop insister sur les efforts intenses qu’il aura à fournir même dans le pire des cas. Sa deuxième secondaire reste encore à passer. Il a finalement changé de sujet.


« Eh! Chose…


— Arrête de m’appeler Chose. Je m’appelle Emmanuel. Alors fais au moins comme si tu le savais, O.K.? » Je lui ai souri après lui avoir dit ça. Ça l’a rassuré.


« O.K.! Eh! Emmanuel! Vous savez ce que je vais faire, après que j’aie commencé à travailler en mécanique, je veux dire en… whatever, là… Je veux dire pas tout de suite après, là, mais, comme, quelques années après?


— Non.


— Ben, je vais me marier, et je vais avoir deux enfants. Je veux dire, je pense, un enfant, c’est, comme, pas bien, là, mais deux c’est O.K., parce que je ne veux pas en avoir plus. Et genre! Chose…


— …!


O.K.! Mais je ne voulais pas dire : « Chose », là! Je veux dire, « chose » c’est pour dire la chose que je voulais parler, là…


— C’est bon, c’est bon…


— Alors, t’sais, je veux avoir des gars, comme enfants. Parce que, t’sais, les filles, quand elles grandissent, elles deviennent des salopes… »


Ha! Je n’ai pas pu m’empêcher de rire. Il n’est pas fou, ce garçon. Il m’a expliqué ce qu’il voulait dire et, ma foi, il n’est pas fou, ce garçon. Les belles filles de son niveau scolaire s’habillent en général effectivement comme des salopes et ne font rien pour contrevenir à cette appellation peu valorisante.


*


J’ai peut-être l’air d’un bien mauvais tuteur. Je laisse les jeunes me parler de leur vie, me poser des questions qui sont en dehors de la matière scolaire, et cetera, pendant que je suis payé pour les forcer à travailler intensément leurs faiblesses académiques. Mais c’est pourquoi ils m’adorent. Dans leur vie de tous les jours, à part leurs amis, personne ne les écoute. Moi, je les écoute, et je les revalorise. Alors quand je reviens à la matière scolaire, ils désirent véritablement progresser sous mes yeux. Ils veulent m’impressionner. Ça marche.


« Eh! Chose! J’ai des photos à vous montrer! »


Ali m’a sorti deux feuilles 8 ½ x 11 sur lesquelles avaient été imprimées des photographies de filles scannées.


« Elle, la blonde, c’est ma copine. Enfin… ce n’est plus vraiment ma copine, là, elle me dérange un peu, t’sais… whatever… Et elle, c’est son amie. C’trop bête, non? Laquelle vous trouvez la plus belle? »


Sur la première photo, une blonde et une brune, quoiqu’elles étaient toutes deux teintes, âgées de treize ans maximum chacune, se collaient joue contre joue dans une attitude qui laissait présager que leur prochaine envie était de se lécher mutuellement la vulve ou de sucer une bite ensemble. Sur la seconde, la blonde, seule, quoique habillée, c’est-à-dire à moitié déshabillée, était accroupie, faisant de trois-quarts dos à l’objectif, avec au visage une moue suggestive. De toute évidence, ces photos avaient été rendues publiques sur le site de clavardage MSN Network.


« Hum! La brune est plus belle. Mais la blonde est cute aussi.


— C’est ce que je pense. Moi, j’ai laissé ma copine parce que je trouve que l’autre est beaucoup plus bête. »

(printemps 2004)





Le roman de mon été (fragments)


Que ceux qui croient qu’il y a une autorité morale supérieure se tirent une balle. Que ceux qui pensent que je suis fâché se mettent quelque chose à un endroit où ça n’entre pas bien, avant de se tirer une balle. Je peux. Je ne plus que peux. J’ai pas pu pendant si longtemps que je pope. Mes dattes sont achetées, mes lettres sont cachetées et mes ballerines sont ballottées. Quand on peut, on veut. Les armées de répéteurs qui répètent tout ce qui se répète s’y trompent : le contraire n’est pas vrai. À cause de la police, des instruments de torture et des affres de l’agonie, c’est-à-dire les sentiments de culpabilité et la crainte du jugement des autres, vouloir ce n’est pas pouvoir. Vouloir sans préambule, c’est manquer de possibilités. C’est pouvoir qui est vouloir. Je dois tout expliquer.


Mon système est splendide. Je ne veux que ce que je peux. Je veux tout ce que je peux. Je roule en vélocifère, je peux faire une peur bleue à un conducteur qui m’a claque-sonné; je le veux; je le fais. J’attends en file à la caisse enregistreuse, je peux lui crier très fort ce qu’elle est dans l’oreille à la vieille qui chiale parce que le caissier débute; je le veux; je le fais. Ensuite je peux lancer un clin d’œil lubrique au dit caissier, vous savez la suite. Je fais tout ce que je peux.


En fait je ne fais pas tout ce que je peux. Faudrait que je fasse trop de choses à la fois. Ce serait impensable : je peux le faire seulement si j’y pense. En ce moment, je peux dire que non, je ne peux pas penser à tout en même temps.


Penses-y, peux-le, veux-le; exécution! C’est le tribunal des tâches dans ma tête, et c’est toujours moi le bourreau.


Ça fait seulement deux jours que je peux à ce point-là – il fallait que j’y pense – et le service de police de Saint-Eustache a déjà mon adresse. Il le peut depuis que j’ai pu casser la guitare de mon voisin. Joue mais joue égal! Si ta toune est en 4/4, alors elle le veut, elle doit l’être. Des deux-tiers de temps en rythmique, ça n’existe pas, je suis pas capable! Lui, j’ai pas pu l’empêcher de pouvoir appeler le serre-vis : j’ai pas pensé à le casser, lui. J’y pense… Je le peux! Je le veux! Je le fais!…


« Tu peux te faire casser la gueule, aussi. »


Pah! J’y pense même pas!


*


Pour le divertissement, je suis entré dans un groupe de musique. GOD’S ASSHOLE SPUN GOLD. Tonitruant. On ne se prend pas pour rien. Et le verbe du nom n’a rien à voir de près ni de loin avec la décourageante aberration qu’on appelle un deejay. J’avais répondu à une annonce. J’avais une condition : que personne n’essaie de faire copain-copain, et one-two-three-four. Ils ont accepté, su mes habiletés. Des gars bien, au demeurant. Je joue la batterie. Que veux dire! Je soumets la batterie. Sur la batterie on frrrappe, frrrappe, frrra-pa-pape. Pa tss, tss. Et tape tape tape tape tape, orrroum boum boum boum pow, kshshsh; etc. – on n’épargne pas une seconde.


Je choisis la batterie parce qu’on tape dessus, y a que ça qui compte, dans la vie on tape tape tape.


Ils ont été surpris, mes trois tordeurs de cordes. Pendant trente secondes je frappais à côté des tambours, puis je me suis ajusté. C’est que je n’avais jamais joué sur une vraie batterie. Toujours tapé sur mes cuisses, par contre, en faisant sautiller mes pieds sur d’imaginaires pédales. Je me suis beaucoup pratiqué en regardant des clips de Metallica. Je suis en affaires.


J’y pense : je vais présenter un peu mon groupe. Je ne connais pas leurs noms, je ne les ai tout simplement pas appris; de toute façon, dans un groupe punk, tout ce que t’as besoin de dire c’est : « Hey! » pour interpeller un tel. « Hey! Monte don’ ton son! »


Le guitariste-gueuleur ressemble à James Dean, mais avec les cheveux longs et les oreilles tatouées en noir complètement. Il fait peur. Il a l’air d'un squelette. Il ne chante pas de chansons d’amour, même pas de proche, et ses chansons punk sont maximum au premier degré.


Le guitariste tout court ressemble à un Prince qui ne s’aimerait pas. Il n’a pas d’autres caractéristiques, à part un piercing en forme d’anneau de Moëbius dans le nez. Je n’ai pas pensé à lui en demander la signification.


Le bassiste ressemble à un chimiste. Il est malade.


Voilà, c’est fini. On s’en tire.


Une chose : personne n’a insisté pour faire copain. Une autre : c’est étrange d’être la seule personne heureuse au sein d’une organisation. Je ne sais pas. Je vais attendre un peu avant de me mutiler pour prouver que je fais partie du cortège.


Nous jouons au Café Chaos dans trois semaines. J’ai hâte.


*


Hier, après avoir reparlé à un ancien ami, dans le seul but de lui annoncer cette nouvelle pour lui marcher dessus, vu que c’est un incapable comme je l’étais, je me sentais tout guilleret, et quand je bois je faux en fous, et hier j’ai fallu rare, j’ai composé le 999-9999. Une voix enregistrée, convaincue et nonchalante me remerciait, après m’avoir prévenu qu’une traduction anglaise m’attendait – j’ai eu peur, j’ai compris « tradition » et j’ai raccroché, puis j’ai rappelé. Et elle parlait, avec un accent français, du projet Amené et du projet Arrivage, pour lesquels le Grand Rabbin de France allait se commettre. À la télé, un idiot en jaquette blanche parlant pour Jésus réglait une fois pour toutes la question de l’imposition des mains. Il était rendu 4 h 20. La voix semblait bien nommer le « Grand Rabbin Gratuitruc ». J’ai tiqué. Pour plus d’informations, appeler le 514-962-1735. Ce que je fis. Un gars m’a questionné :


« Allo? »


J’ai répondu : « Oui. » À chaque interrogation, j’ai répondu par un lent, fort et fervent : « Oui. » Bien entendu. C’était une hyperbole. Ensuite, j’ai rappelé, et cette fois j’ai proféré de lents, forts et furieux : « Non. »


« C’est bon, j’ai relevé vos coordonnées. »


Comme si elles s’étaient couchées par terre.


Que s’est-il passé? J’ai bu trois autres bières, d’après mon décompte, et au milieu d'un sommeil très certainement cocasse, la police est arrivée. Nous étions tous surpris. Même le chef d’équipe ne savait pas pourquoi il était là. Ils me réveillaient! Dans le noir!


« Nous avons reçu une plainte, euh… »


Ils on sûrement sonné au 1540, puisque c’est comme ça que ça marche, bien que je sois au 1542, et la parodie qui me loge a dû me livrer. (« La police? Vous venez sûrement pour cet… homme. »)


Comment voulez-vous que je ne tue pas?


« Va te faire! »


Viens ici!


*


Mon groupe n’est pas vraiment ce qu’on appelle correctement un groupe « punk ». Étymologiquement, je n’irais pas non plus jusqu’à nous qualifier de « vauriens, pourris, délabrés ». Les pratiques vont bien. Nous faisons ça chez le bassiste (le chimiste), un vieux garçon malade qui habite chez ses parents, en fait chez son père, la mère n’est plus là. Nous ne pouvons pas louer un local, puisque mes trois co-punks ne travaillent pas. De parfaits inutiles et admirables beaux punks.


Le père est un déprimé, dépressurisé, décapsulé, éventé, ruminé, vomi, roté. Je n’avais jamais vu ça. Cherchez l’intrus! On entre dans la maison après un safari en règle et il fait noir, tous les rideaux sont tirés, on peut entendre la poussière exister, on descend dans la cave et on allume les lumières, la batterie m’attend dans un coin, les murs blancs jaunis sont marqués de coups noirs et troués, les ampoules nues brillent dans nos yeux et on fume un joint, un long joint pendant que les mains inoccupées branchent les amplis, le micro, ça se met à siffler, le plancher est une flaque où serpentent plein de fils emmêlés et pendant qu’on se regarde au moment où on va commencer à jouer nous savons que le père, tout là-haut, dans le noir épais du salon, à l’étage, oblique, respire les yeux ouverts sans bouger comme un profond et cuisant déprimé. C’est à peine s’il s’est aperçu que nous sommes là et installés, le chimiste le garantit, et ça devient urgent pour nous de tuer cette inquiétude de respirer le même air qu’un déménagé vaquant décati nous crinquons une chanson, voyons donc, et HARRRR


ça trremble terriblement –


on lui change les idées, à cet échangé pour peu cher.


*


Le spectacle s’en vient. Notre chanteur, qui compose tout, a un concept génial. Dans toutes les chansons, le même refrain revient, dans des gammes différentes, transposé, pervers, diaboliquement inséré. Paraît que ça crée une vraie transe. Une toune commence, les mains supplient et louent, folles, la bière revole partout, les bouteilles cassent, les murs et le plafond dansent, étirés, mous, suintants, le tempo s’aggrave, les accords progressent jusqu’au climax et soudain, le refrain vient, ça fait comme une incantation noire, les corps se cambrent, les yeux se révulsent et les arcanes luisent! […]

(juillet 2004)

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